J’ai rencontré Christophe Krausch lors du déjeuner de la 7ème Conférence des Talents de la Relation Client le 27 septembre 2013. Nous avons brièvement échangé sur son activité de Directeur de l’Université du Service de la SNCF.
Lorsque j’ai compris que sa mission consistait à contribuer à la fois à la diffusion de la culture du client et à la conduite du changement, je me suis dit, qu’en plus de susciter ma curiosité, cette expérience devrait surement intéresser mes fidèles lecteurs de ClientauCoeur. Je me devais donc de l’interviewer. Â
CaC (ClientauCoeur) : Christophe Krausch, vous êtes Directeur de l’Université du Service à la SNCF. Quel était l’objectif de la SNCF lorsqu’elle a créé cette Université du Service ?
CK (Christophe Krausch) :Â Avec la création de l’Université du Service, nous avons voulu mettre en oeuvre un saut qualitatif en termes de service offert aux clients, via notre personnel en contact. Cela entrait dans notre projet d’entreprise qui était de faire de la SNCF une entreprise de services. Nous avons donc lancé un grand programme de formation pour faire comprendre ce qui se jouait dans la Relation Client et en quoi l’amélioration du service était un investissement important.
CaC : Quels sont ont été les moyens mis en oeuvre pour déployer ce plan de formation au niveau national ?
CK : Il y a eu 6 leviers qui permettent de mettre en oeuvre ce programme :
1- La co-construction : avec les personnels en contact direct avec le client tels que les vendeurs, les agents d’accueil et les chefs de bord, nous avons co-construit une représentation commune de la relation client. Plus concrètement, nous avons identifié les 7 temps forts ou moments de vérité de la rencontre avec le client, à partir de 300 situations professionnelles identifiées.
2- Les techniques d’improvisation théâtrales : elles ont servi à obtenir des changements comportementaux de la part du personnel.
3- Les mises en situations professionnelles : pour être dans une démarche pro-active, il suffit de se mettre dans la peau du client et des collègues. Cela permet d’avoir plus d’empathie et de porter un regard différent sur les situations étudiées. Puisqu’en procédant ainsi on peut travailler sur le ressenti dans chaque posture.
4- Les «Â train école » et «Â gare école »Â : très pragmatique, cette technique a permis de s’entrainer dans des situations réelles rencontrées lors de face-à -face avec des clients. Un feedback à chaud avec le client, suite à l’échange, permettait de faire progresser les collaborateurs dans leur pratique de débriefing.
5- L’inter-métier : il suffit de se mettre dans la peau des collègues, cette fois-ci. Cela permet d’avoir plus de collaboration et surtout de prendre du recul sur sa propre façon d’exercer son métier. Puisqu’en procédant ainsi on peut avoir une meilleure vision de la chaîne.
6- L’implication du management de proximité : eux aussi avaient leur rôle à jouer, en les impliquant très en amont du programme de formation, notamment en mettant l’accent sur la prise en compte des 7 moments de vérité du client.
CaC : Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
CK :Â Il ne s’agit pas vraiment de difficultés mais d’un oubli. Nous avons, peut-être, sous-estimé le poids du rôle des directions, autres que le management de proximité. C’est pour cela que nous avons dû revenir sur notre façon de faire, en impliquant les dirigeants des différentes entités et les directeurs d’établissement. Des besoins ont rapidement émergés, en ce qui concerne le management. Car l’implication des dirigeants est extrêmement importante pour la culture du changement dans l’entreprise.
Malgré cela, on se demandait comment entraîner l’entreprise avec toutes ces entités dans ce grand élan de changement de posture vis-à -vis des clients.Â
CaC : Et c’est ainsi que vous avez décidé de créer l’Université du Service ?
CK :Â Tout a fait. Nous nous sommes posés la question de créer une Université d’entreprise qui puisse instiller la culture du service, car partir de la structure de formation existante, intégrant toutes ces nouvelles méthodes, était trop compliqué.
CaC : Quels sont les résultats 7 ans après sa création ?
CK : On a d’abord travaillé la conformité par rapport à des normes avant de se lancer dans le pilotage par la qualité. D’après les évaluations effectuées par les managers et les responsables de production, on sait que le programme est efficace car, il y a :
- augmentation du taux de satisfaction des clients,Â
- la conformité a été vérifiée avec la mise en place des programmes de clients mystères,
- des évolutions qui ont pu être réalisées,
- des réalisations comme celles de la Gare de Lyon à Paris,
- la conduite du changement qui a pu aboutir.
CaC :Â Quels ont été les facteurs clés de succès de l’Université du Service ?
CK : je dirais qu’il y en 5 :Â
1- Il faut être ancré dans la stratégie d’entreprise :
Elle sert de levier dans la stratégie de mutation du groupe en entreprise de service. Elle a largement contribué à de grands projets tels que :
- La qualité de la relation client,
- La nouvelle gamme tarifaire,
- La nouvelle gamme de services,
- La mise en place du e-billet,
- Le programme Informations Voyageurs.
2- Le projet doit être porté par des convictions fortes :
Il s’agit de convictions fortes sur le service aux clients et la symétrie des attentions. L’objectif des formations est de résulter sur du changement effectif dans les gares, les boutiques et les trains. Et pour faciliter cette transmission de conviction aux collaborateurs, cela passe par la possibilité de vivre une expérience de formation mémorable qui leur permette, à leur tour, dans le quotidien de leur métier, d’en faire autant pour leur client.
3- Innover par une approche décalée de la formation :
En se positionnant à la place du client, c’est-à -dire que toutes les formations ont été revues du point de vue des 7 moments de vérité identifiés.
4- L’ancrage terrain et la valorisation des métiers du service :
Le personnel en contact avec les clients est d’autant plus important qu’il impacte très fort l’expérience vécue par le client. D’où l’importance de valoriser ses métiers au sein de l’entreprise. Pour cela, des campagnes de communication (affichage, films) ont permis de focaliser sur les métiers. C’est pour cela que l’Université du Service ne peut se permettre d’être déconnectée des réalités du terrain.
5- Avoir recours à l’informatique et aux nouvelles applications collaboratives :
Cela permet de piloter les programmes de formation, de les évaluer à chaud et de collaborer par le biais de communautés sur des plates-formes collaboratives. Cela montre l’importance de l’informatique dans tout ce qui touche au client.
CaC : Le personnel en front-office a-t-il la possibilité de remonter du feedback clients ?
CK :Â Oui. Des enquêtes de satisfaction ont été réalisées en interne. Des remontées entre agents et managers par la mise en place de systèmes de rapport.
CaC : Le personnel concerné est-il en mesure d’exprimer ses besoins propres, dans une logique de symétrie des attentions ?
CK : Le management est sensibilisé à l’écoute du personnel. Le projet d’entreprise «Â Excellence 2020 » focalise sur l’attention. Ajouté à cela notre outil de mesure Tempo, système d’enquêtes de satisfaction annuelles des agents permet d’évaluer :
- l’entité,
- la coopération avec les autres,
- le management,
- la lisibilité du projet.
L’analyse est partagée entre agents et managers, puis il y a la mise en place d’un plan d’action annuel pour améliorer la satisfaction des collaborateurs. L’agent est considéré comme le client interne.
CaC : Selon-vous quels sont les facteurs clés de succès pour réussir à instiller la culture du client dans l’entreprise ?
CK : Je dirais :
- d’abord comprendre les besoins des clients ;
- être attentif aux évolutions et usages ;
- benchmarker les autres entreprises ;
- installer une culture de la relation client :
–Â bien identifier ce qui produit de la valeur pour les clients,
–Â sans oublier en quoi les personnels peuvent générer de la valeur pour les clients,
–Â et le partager avec eux. Â
- les rendre à l’aise, c’est-à -dire faciliter la conduite du changement en utilisant les leviers de la formation ;
- mettre en oeuvre la réciprocité des expériences. Autrement dit, il faut de la cohérence dans la manière de se comporter avec les clients et celle avec les collaborateurs.
CaC : En spécialiste du collaboratif client, je vais vous demander si vous avez initié des ateliers collaboratifs entre clients et personnels ?
CK :Â En fait, je ne suis pas la personne la mieux placée pour en parler. Mais oui, nous avons mis en place le TGV Lab, une plate-forme de co-production basée sur la collaboration entre clients, agents et fournisseurs.
En conclusion, je dirais que la SNCF est un bon exemple d’étude de cas sur la façon dont la formation a contribué à initier et instiller la culture client dans l’entreprise, tout en gérant la résistance au changement. Cet exemple montre que la «Â centricité client » n’est pas une Arlésienne, tout est possible lorsque l’on s’en donne les moyens et qu’on en a la volonté, à tous les échelons de l’entreprise !
Je remercie Christophe Krausch d’avoir partagé avec moi le récit de cette fabuleuse aventure !
Pour en savoir plus : Management du Service et Conduite du Changement & Le Cas de la SNCF ; Euverte, Joseph-Antoine et Meyronin & édition Vuibert, 2010.
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